Maisons de repos et hôpitaux belges bientôt tous contraints de pratiquer l’euthanasie ?
Actualités - Belgique
Publié le : 20/02/2020
Auteur / Source : L. Vanbellingen
« Aucune clause écrite ou non écrite ne peut empêcher un médecin de pratiquer une euthanasie dans les conditions légales » : par cette courte disposition, la proposition de loi actuellement en discussion au Parlement fédéral pourrait bouleverser le quotidien de nombreuses institutions de soins aux quatre coins du royaume.
Pour rappel, la proposition de loi introduite en octobre dernier prévoit un élargissement des conditions d'accès à l'euthanasie. Y figurent notamment la durée de validité illimitée de la déclaration anticipée d'euthanasie (auparavant limitée à cinq ans) ainsi que le renforcement de l'obligation de renvoi du patient vers un autre médecin, pour le médecin qui refuserait de pratiquer une euthanasie sur base de sa liberté de conscience.
La troisième mesure porte donc sur l'interdiction des clauses visant à exclure l'euthanasie. Un grand flou règne sur le fait de savoir quelles personnes et institutions sont visées par une telle interdiction, la proposition ne mentionnant en effet aucun acteur explicitement. A lire l'exposé des motifs de la loi, l'on comprend toutefois que la mesure vise en pratique à interdire les maisons de repos et hôpitaux « sans euthanasie ».
Sur base de leur liberté institutionnelle, de nombreuses institutions de soins proposent en effet une prise en charge des patients qui privilégie d'autres approches que la mort par euthanasie, par exemple à travers un accompagnement continu des personnes jusqu'à leur décès, par le biais des soins palliatifs.
Une telle mesure vise donc à contraindre les institutions à accepter la pratique de l'euthanasie en leurs murs, en se fondant sur l'autonomie du patient et sur la liberté thérapeutique du médecin. En pratique, ceci signifierait que le médecin pourrait pratiquer l'euthanasie sur un patient qui le souhaite, même si un tel geste va à l'encontre de l'approche thérapeutique privilégiée par l'institution de soins et la communauté de soignants qui la compose.
La liberté des uns étouffée par l'autonomie des autres ?
Comme le Conseil d'Etat l'indique d'ailleurs dans son avis rendu la semaine dernière sur la proposition de loi (voy. bulletin précédent), une telle mesure porte potentiellement atteinte à la liberté des institutions de soins, tant du point de vue de leur liberté d'association que de la liberté de conscience des soignants, exercée ici collectivement. Même s'il considère que l'article de loi est formulé de manière « imprécise », le Conseil d'Etat conclut malgré tout au caractère proportionné d'une telle atteinte à la liberté des institutions et des soignants.
Le quasi-blanc-seing livré par le Conseil d'Etat vis-à-vis d'une telle restriction suscite de véritables interrogations. Dans sa vision individualiste de la relation patient-soignants, la proposition de loi semble en décalage avec la réalité vécue par les communautés de soignants au sein des institutions de soins. Qu'en est-il, par exemple, de la liberté conjointe de plusieurs personnes, soignants et résidents, de travailler et vivre dans une maison de repos garantissant à chacun la possibilité d'être accompagné jusqu'au terme de sa vie ?
Reste à savoir quelle marge de manoeuvre les établissements de soins conserveraient dans leur approche thérapeutique dans l'hypothèse où cette mesure est adoptée. Le Conseil d'Etat précise que l'établissement ne perdrait pas sa liberté d'établir « sa propre politique en matière d'euthanasie », ni « sa propre politique du personnel ». L'exclusion générale de toute pratique euthanasique ne serait par contre plus envisageable.
« Filtre palliatif » et euthanasie
Nombreuses sont les maisons de repos et hôpitaux qui proposent aujourd'hui un trajet de soins des personnes en fin de vie qui privilégie l'apaisement de la douleur et l'accompagnement dans la souffrance physique et/ou psychique, y compris jusqu'à la mort. Une telle approche entre souvent en contradiction de facto avec l'idée d'une mort accélérée et provoquée par euthanasie.
Pour autant, ces institutions ne s'opposent pas formellement à la pratique de l'euthanasie : c'est plutôt leur projet de prise en charge des patients qui, indirectement, rend l'option de l'euthanasie superflue et hors de propos.
Si la proposition de loi ne vise pas expressément à interdire ce type d'approche, l'on a pu voir, chez certaines personnalités politiques, la volonté de mettre un terme à ce qu'ils dénoncent comme un « filtre palliatif ». Ce filtre irait selon ceux-ci à l'encontre de l'autonomie du patient, en ce qu'ils lui imposeraient le refus de l'euthanasie. Or, l'objectif poursuivi par les institutions à travers cette approche n'est pas d'exclure l'euthanasie en soi, mais bien d'accompagner de manière continue la personne en fin de vie. L'absence de recours à l'euthanasie constitue donc le résultat de cet accompagnement, et non l'objectif.
Le refus de traitement comme porte d'entrée du droit à l'euthanasie
Enfin, outre la menace qu'une telle mesure fait peser sur plusieurs libertés fondamentales, c'est la philosophie même de la loi sur l'euthanasie qui se voit ici remise en question. Dans cette nouvelle logique, l'on s'appuie sur le droit du patient à refuser un traitement pour valider le caractère inapaisable de ses souffrances. Des situations se présenteront alors où un patient qui pourrait être soulagé par un traitement verra sa demande d'euthanasie validée en raison des souffrances qu'il refuse lui-même de voir apaisées.
S'installe alors progressivement un véritable droit individuel à obtenir l'euthanasie, opposable à toute communauté de soignants, dont l'exercice de la liberté de conscience serait rendu impossible en pratique. In fine, le principe de pluralisme philosophique autour duquel est organisé le système belge des soins de santé sortirait largement affaibli par une telle mesure. ( ieb-eib.org)
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