Chers Frères et Sœurs, Mes très chers Fils,
Quelle surprise ! La semaine dernière, en ornements blancs, nous avons fêté le Christ, Roi de l’univers. Les derniers jours de l’année liturgique, et en particulier l’Évangile du XXIVe dimanche après la Pentecôte, ont résolument tourné nos regards vers le retour glorieux du Seigneur à la fin des temps.
Mais voici qu’aujourd’hui, premier dimanche de l’année liturgique, les ornements sont violets alors que débute le temps de pénitence de l’Avent, temps de préparation à Noël.
Ce « retour à la case départ » pourrait susciter une certaine déception, voire un désintérêt pour un cycle liturgique sans fin car sans cesse parcouru. L’habitude avilit tout.
Cet aspect cyclique n’est cependant pas propre à la liturgie. Les journées, les semaines, les années reviennent sans fin.
Aussi n’est-il pas difficile de faire siennes les paroles désa- busées de Qohèleth qu’il vaut la peine de rappeler :
Vanité des vanités, tout est vanité ! Quel profit l’homme retire-t-il de toute la peine qu’il se donne sous le soleil ? Une génération s’en va, une génération s’en vient, et la terre subsiste toujours. Le soleil se lève, le soleil se couche… et de nouveau il se lèvera… Tout discours est fatigant, on ne peut jamais tout dire. L’œil n’a jamais fini de voir, ni l’oreille d’entendre. Ce qui a existé, c’est cela qui existera ; ce qui s’est fait, c’est cela qui se fera ; rien de nouveau sous le soleil. Moi, Qohèleth…, j’ai pris à cœur de rechercher et d’explorer… tout ce qui se fait sous le soleil ; c’est là une rude besogne… Eh bien, tout cela n’est que vanité et poursuite de vent » (cf. Qo 1, 2-17)La vie a-t-elle donc un sens ? Vaut-elle la peine d’être vécue si elle n’est que du vent, du temps passé, du temps perdu ?
Comme Qohèleth, l’homme, dont les possibilités de connaissance se sont élargies vers l’infiniment petit comme vers l’infiniment grand par le progrès des sciences, et ont été décuplées par les médias, cet homme cherche à explorer, à voir, à entendre tout ce qui se fait sous le soleil. Bientôt, nous assure-t-on, des techniques lui permettront de perfectionner sa nature, de la rendre plus puissante, plus forte, plus intelligente…
Les considérations de Qohèleth sur ses expériences, sur la vie, son invitation même à profiter de celle-ci avant qu’elle ne s’évanouisse sans retour, ne rejoignent-elles pas les réflexions de nos contemporains, et peut-être même les nôtres ?
Malgré les leçons de la souffrance et des catastrophes dont il est souvent la cause, l’homme moderne refuse une vie dont le sens ne tiendrait qu’à un fil, celui qui le lie à Dieu ; bien plus, il refuse ce fil en cherchant d’autres raisons pour une vie et un bonheur qui ne passeront pas, voire une absence de raison.
Entre l’annonce du retour du Christ lors de la dernière semaine de l’année liturgique et ce premier dimanche de l’Avent, il y a un point de rencontre. Les évangiles de ces deux dimanches, empruntés respectivement à saint Matthieu et à saint Luc, sont deux passages parallèles qui se concluent par les mêmes mots : « Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas. » ( Mt 24,35 et Lc 21,33)
Faut-il s’étonner de trouver la même allusion dans les dernières lignes de Qohèleth :
Vanité des vanités…, tout est vanité… Pour conclure ces paroles, et tout bien considéré, crains Dieu et observe ses commandements. Tout est là pour l’homme. (Qo 12,8;13)À la différence de l’homme moderne, Qohèleth croit en Dieu. Cette croyance, nous la proclamons chaque dimanche dans la profession de foi qu’est le Credo. À celle-ci s’ajoutent aujourd’hui les deux petits mots que nous trouvons à la première page de l’année liturgique dans nos missels, les deux premiers mots de l’introït de cette Messe : Ad te, « Vers vous ».
Ces deux mots sont le remède à l’absence supposée de sens pour la vie humaine. Chaque instant, chaque vie, prend sa valeur dans son orientation à Dieu, dans sa transcendance. Si le ciel et la terre passent, ni les paroles de Dieu, ni Dieu lui-même, ne passent.
Proclamer sa foi, ce n’est pas seulement articuler quelques sons, c’est prononcer des paroles de sorte qu’elles ne passent pas sans laisser de trace, qu’elles s’inscrivent toujours plus profondément dans la vie.
En ce début de l’année liturgique, les textes de ce dimanche invitent à la confiance en Dieu et à l’espérance. Dieu est un roc pour celui qui croit et se confie en lui.
Se confier en Dieu, c’est aussi prendre au sérieux sa vie. Saint Paul dans l’épître aux Romains, invite à sortir du sommeil parce que l’heure du salut est proche. S’il y a bien des sortes de sommeil, toutes se résument dans une distraction. Le sommeil détourne de la transcendance, de cet Ad te, de ce Vers Vous, label de qualité de chaque miette de vie.
Comment obtenir ce label? En établissant d’abord une douane sévère aux portes de notre intelligence et de notre volonté. Nous n’avons le droit de laisser demeurer dans notre cœur, nous n’avons le droit d’accomplir que ce qui est suscep- tible de nous orienter vers Dieu ou d’y orienter les autres ; autrement dit, nous devons accomplir toute chose dans la vérité et la charité.
Peut-être faut-il préciser encore ?
Comment comprendre que les désordres dont saint Paul fait la liste : excès de table, de boisson, luxure, impudicité, querelle et jalousie, qui touchent non seulement la société, mais aussi l’Église jusqu’aux sommets de sa hiérarchie, provoquent chez des chrétiens, hommes et femmes, trouble et colère, quand eux-mêmes abusent des médias pour assouvir leur appétit de voir, ou encore contribuent parfois à ces désordres, de façon irresponsable et inconsciente, par des façons de s’habiller légères et provocantes dictées par la mode ? Nous avons tous à faire, et de façon urgente, un examen de conscience dont la règle ne peut être que cet Ad te, ce Vers vous.
Alors que nous commençons le temps de l’Avent, soyons convaincus que les distraits n’auront pas de place à la crèche, ou plutôt que les distraits n’ont pas de place pour accueillir Marie et Joseph.
Au seuil de cette année liturgique, venez, Seigneur, à notre secours ; arrachez-nous aux périls qui nous menacent.
Amen.
( Dom Jean Pateau,OSB, Abbé de Notre-Dame de Fontgombault, le 2 décembre)
Comment comprendre que les désordres dont saint Paul fait la liste : excès de table, de boisson, luxure, impudicité, querelle et jalousie, qui touchent non seulement la société, mais aussi l’Église jusqu’aux sommets de sa hiérarchie, provoquent chez des chrétiens, hommes et femmes, trouble et colère, quand eux-mêmes abusent des médias pour assouvir leur appétit de voir, ou encore contribuent parfois à ces désordres, de façon irresponsable et inconsciente, par des façons de s’habiller légères et provocantes dictées par la mode ? Nous avons tous à faire, et de façon urgente, un examen de conscience dont la règle ne peut être que cet Ad te, ce Vers vous.
Alors que nous commençons le temps de l’Avent, soyons convaincus que les distraits n’auront pas de place à la crèche, ou plutôt que les distraits n’ont pas de place pour accueillir Marie et Joseph.
Au seuil de cette année liturgique, venez, Seigneur, à notre secours ; arrachez-nous aux périls qui nous menacent.
Amen.
( Dom Jean Pateau,OSB, Abbé de Notre-Dame de Fontgombault, le 2 décembre)
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