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L’hypermédiatisation d’une parole prononcée par le Pape François sur la reconnaissance légale d’une « convivencia civil » – formule espagnole qu’il faudrait traduire plutôt par « cohabitation civile » que par « union civile » – pour les personnes de même sexe, a causé bien du trouble chez nombre de fidèles catholiques, prêtres et laïcs. Interpellé ces derniers jours sur la teneur de ce propos, il me semble opportun, comme évêque, d’apporter quelques éclaircissements.
Comme fils de l’Eglise et membre du Collège des évêques, placé sous l’autorité du Pape, il va sans dire que je renouvelle ici ma communion affective et effective au Successeur de Pierre, selon le serment de fidélité au Siège apostolique que j’ai prononcé, il y a douze ans, quand j’ai reçu la charge de l’épiscopat : « Avec une foi inébranlable, je crois tout ce qui est contenu ou transmis dans la parole de Dieu, et à tout ce qui est proposé par l’Eglise pour être cru comme divinement révélé, que ce soit par un jugement solennel ou par le magistère ordinaire et universel. J’embrasse aussi fermement et retiens pour vrai tout ce qui concerne la doctrine de la foi ou la morale et est proposé par cette même doctrine de façon définitive. Tout particulièrement avec un respect religieux de la volonté et de l’intellect, j’adhère aux doctrines énoncées par le Pontife romain ou par le Collège des évêques lorsqu’ils exercent le magistère authentique, même s’ils n’entendent pas les proclamer par un jugement définitif » (Code de Droit Canonique c. 833).
On comprendra ici qu’il y a divers degrés d’autorité de l’enseignement de l’Eglise qui entraînent différentes formes d’adhésion de la part des fidèles. Je dois adhérer dans l’obéissance de la foi à tout enseignement en matière de foi et de morale énoncé par le Pontife romain de manière solennelle, ex cathedra, c’est-à-dire lorsqu’il agit explicitement en tant que Pasteur et Docteur suprême de tous les fidèles : on dit qu’il jouit alors de l’Infaillibilité. Cette même infaillibilité réside dans le corps des évêques quand il exerce son magistère suprême en union avec le Successeur de Pierre. Les évêques jouissent encore de cette même infaillibilité, « lorsque, même dispersés à travers le monde, mais gardant entre eux et avec le successeur de Pierre le lien de la communion, ils s’accordent pour enseigner authentiquement qu’une doctrine concernant la foi et les mœurs s’impose de manière absolue » (Lumen Gentium n. 25) : c’est ce que l’on désigne sous le nom de Magistère ordinaire et universel. Les autres doctrines énoncées par le Pape et le collège des évêques, sans avoir pour autant de caractère définitif, pourvu qu’ils entendent exercer leur Magistère authentique, requièrent le respect religieux des fidèles.
Il ne s’agit pas ici d’un exercice du Magistère authentique du Pontife romain
Il convient d’abord de préciser que c’est dans le cadre d’un documentaire, au hasard d’une interview, que le Pape François a prononcé cette parole, relayée aujourd’hui par tous les médias. Or il semble s’agir d’un montage qui concentre en une seule phrase plusieurs passages séparés de l’interview. Et si le Pape a effectivement pu prononcer la parole ci-dessus, il n’a jamais légitimé pour autant le « mariage homosexuel », ni donné un statut aux familles homoparentales ; tout au plus demande-t-il aux parents de ne pas rejeter un enfant homosexuel qui a toujours besoin de sa famille.
Parce que ce propos semble prendre acte de l’évolution des mœurs et correspondre à une revendication de la société occidentale, les médias, ignorant les degrés d’autorité des interventions pontificales, rappelés dans le serment cité plus haut, croient pouvoir y discerner une révolution dans l’enseignement du Magistère. Pour autant, une telle parole n’a évidemment pas de caractère magistériel, ni dans la forme – il n’y exerce pas son Magistère authentique – ni dans le fond – et pour cause, puisque c’est en contradiction avec le Magistère ordinaire et universel. Le Pape François n’a d’ailleurs jamais prétendu imposer à l’assentiment des fidèles des propos de circonstance, ni leur donner le poids de son autorité de Successeur de Pierre, à qui le Christ a précisément confié la mission de confirmer ses frères dans la foi.
Tout en demeurant fidèle au Siège apostolique et en conservant a priori une attitude de bienveillance filiale par rapport à l’enseignement du Pape, et puisque le Magistère ordinaire et universel de l’Eglise n’est pas formellement engagé, il est donc légitime d’exprimer respectueusement son désaccord, pour autant que l’on puisse donner à l’expression « convivencia civil » le sens d’une reconnaissance des actes homosexuels.
Rigueur morale et miséricorde
Sans nul doute, le Pape a voulu exprimer ici l’attitude du Pasteur qui accueille tout homme, comme aimé de Dieu, quels que soient son histoire et ses comportements. Comme une Mère, l’Eglise exprime sa sollicitude pastorale pour tous et se refuse à juger les personnes, s’interdisant de réduire un homme ou une femme à ses actes. Pour autant, fidèle à l’enseignement du Père transmis par le Christ et le Magistère de l’Eglise, en matière de foi et de morale – « qui vous écoute, m’écoute » (Lc 10, 16), dit Jésus à ses apôtres –, elle ne peut jamais appeler bien ce qui est mal. Elle a reçu mission de rappeler les grandes orientations de la Loi inscrite dans la nature de l’homme, par création et par grâce, non pour juger et condamner les personnes, mais pour leur indiquer un chemin de croissance vers un Bonheur qui consiste à conformer progressivement leur vie au dessein de Dieu, tel qu’il nous l’a révélé.
Comme l’écrit le Pape Saint Grégoire le Grand (+ 604), dans sa Règle Pastorale, à l’intention des évêques : « Il faudra donc veiller à ce que la tendresse montre aux siens, dans le pasteur, une mère, et la rigueur morale, un père ; il faut, avec tout le tact possible, s’arranger pour que la sévérité ne soit pas rigide, ni molle la tendresse. Comme nous l’avons dit dans les Morales, la rigueur de la règle (disciplina) et la miséricorde perdent beaucoup à être observées l’une sans l’autre (…) Le Bon Samaritain (cf. Lc 10, 33s) applique sur les blessures le mordant du vin et le réconfort de l’huile » (II, 6).
Ce que nous enseigne le Magistère ordinaire et universel de l’Eglise
Le Catéchisme de l’Eglise Catholique (1992)
C’est pourquoi, quand le Successeur de Pierre donne à son enseignement le caractère du Magistère authentique, il ne peut pas contredire le Magistère ordinaire et universel de l’Eglise, rappelé par ses prédécesseurs de manière constante et tel qu’il est exprimé aujourd’hui dans le Catéchisme de l’Eglise Catholique. Or à propos de l’homosexualité, on peut y lire : « L’homosexualité désigne les relations entre des hommes ou des femmes qui éprouvent une attirance sexuelle, exclusive ou prédominante, envers des personnes du même sexe. Elle revêt des formes très variables à travers les siècles et les cultures. Sa genèse psychique reste largement inexpliquée. S’appuyant sur la Sainte Écriture, qui les présente comme des dépravations graves (cf. Gn 19, 1-29 ; Rm 1, 24-27 ; 1 Co 6, 10 ; 1 Tm 1, 10), la Tradition a toujours déclaré que ” les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnés ” (CDF, décl. ” Persona humana ” 8). Ils sont contraires à la loi naturelle. Ils ferment l’acte sexuel au don de la vie. Ils ne procèdent pas d’une complémentarité affective et sexuelle véritable. Ils ne sauraient recevoir d’approbation en aucun cas » (n. 2357).
Pour autant, le Catéchisme poursuit en s’interdisant de juger les personnes et en invitant au contraire à les accueillir avec respect et bienveillance : « Un nombre non négligeable d’hommes et de femmes présente des tendances homosexuelles foncières. Cette propension, objectivement désordonnée, constitue pour la plupart d’entre eux une épreuve. Ils doivent être accueillis avec respect, compassion et délicatesse. On évitera à leur égard toute marque de discrimination injuste. Ces personnes sont appelées à réaliser la volonté de Dieu dans leur vie, et si elles sont chrétiennes, à unir au sacrifice de la croix du Seigneur les difficultés qu’elles peuvent rencontrer du fait de leur condition(n. 2358).
C’est dans ce sens que le Pape François s’était exprimé dans l’avion qui le ramenait de Rio de Janeiro, en juillet 2013 : « Si une personne est gay et cherche le Seigneur, fait preuve de bonne volonté, qui suis-je pour la juger ? Le catéchisme de l’Église catholique l’explique de manière très belle ».
L’identité d’un homme ou d’une femme ne tient pas à son orientation sexuelle, mais à sa dignité d’« image de Dieu », et en ce sens toujours aimé de Dieu et infiniment respectable. Si l’Eglise ne porte pas de jugement sur les personnes – « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés » (Lc 6, 37) – elle n’en pose pas moins un jugement sur la qualité morale des actes, sans enfermer jamais la personne dans ses actes, confiante dans la capacité de progrès de toute personne humaine, en vertu de sa liberté fondamentale qui ne peut jamais lui être déniée, sans la réduire complètement aux tendances qu’elle n’a effectivement pas choisies.
Note de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (2003)
Dans une note de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, du 3 juin 2003, signée par le Cardinal Joseph Ratzinger et approuvée par le Pape saint Jean Paul II, on peut lire en conclusion d’un argumentaire très fouillé du point de vue biblique, théologique, anthropologique et juridique : « L’Église enseigne que le respect envers les personnes homosexuelles ne peut en aucune façon conduire à l’approbation du comportement homosexuel ou à la reconnaissance juridique des unions homosexuelles. Le bien commun exige que les lois reconnaissent, favorisent et protègent l’union matrimoniale comme base de la famille, cellule primordiale de la société. Reconnaître légalement les unions homosexuelles ou les assimiler au mariage, signifierait non seulement approuver un comportement déviant, et par conséquent en faire un modèle dans la société actuelle, mais aussi masquer des valeurs fondamentales qui appartiennent au patrimoine commun de l’humanité. L’Église ne peut pas ne pas défendre de telles valeurs pour le bien des hommes et de toute la société » (Considérations à propos des projets de reconnaissance juridique des unions entre personnes homosexuelles, n. 11).
Exhortation apostolique post-synodale Amoris Laetitia (2015)
Fidèle à l’enseignement de l’Eglise, le Pape François écrit dans son exhortation apostolique Amoris Laetitia : « L’Église fait sienne l’attitude du Seigneur Jésus qui, dans un amour sans limite, s’est offert pour chaque personne sans exceptions. Avec les Père synodaux, j’ai pris en considération la situation des familles qui vivent l’expérience d’avoir en leur sein des personnes manifestant une tendance homosexuelle, une expérience loin d’être facile tant pour les parents que pour les enfants. C’est pourquoi, nous désirons d’abord et avant tout réaffirmer que chaque personne, indépendamment de sa tendance sexuelle, doit être respectée dans sa dignité et accueillie avec respect, avec le soin d’éviter ‘‘toute marque de discrimination injuste » et particulièrement toute forme d’agression et de violence. Il s’agit, au contraire, d’assurer un accompagnement respectueux des familles, afin que leurs membres qui manifestent une tendance homosexuelle puissent bénéficier de l’aide nécessaire pour comprendre et réaliser pleinement la volonté de Dieu dans leur vie » (n. 250). Et en citant explicitement en référence la note de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, il précise : « Au cours des débats sur la dignité et la mission de la famille, les Pères synodaux ont fait remarquer qu’en ce qui concerne le « projet d’assimiler au mariage les unions entre personnes homosexuelles, il n’y a aucun fondement pour assimiler ou établir des analogies, même lointaines, entre les unions homosexuelles et le dessein de Dieu sur le mariage et la famille ». Il est inacceptable que « les Églises locales subissent des pressions en ce domaine et que les organismes internationaux conditionnent les aides financières aux pays pauvres à l’introduction de lois qui instituent le “mariage” entre des personnes de même sexe » (n. 251).
Le Pape est le premier gardien de la doctrine de l’Eglise
Je rappelle donc que le Pape François, dans cette interview, ne pouvait pas prétendre donner un contenu magistériel à l’opinion qu’il a ainsi émise. Il faut donc en relativiser la portée et ne pas se scandaliser que les médias s’en soient emparé, au risque de mettre de la confusion et de la division au sein du peuple chrétien et au-delà.
C’est donc pour le moins un malentendu, quand les médias croient y discerner une expression de l’autorité suprême de l’Eglise. Il est utile de rappeler, contrairement à ce que j’ai entendu d’un journaliste sur France Info, que ce n’est pas le Pape qui fait la doctrine de l’Eglise, il est seulement le premier à avoir mission de veiller sur la foi catholique reçue des apôtres. Et s’il peut se faire qu’il soit amené à proclamer ex cathedra un nouvel enseignement à proposer à la foi des fidèles, ce ne peut être que dans des conditions très précises et en cohérence avec la Parole de Dieu écrite et transmise fidèlement par le Magistère bimillénaire de l’Eglise.
Comme le Pape Benoît XVI l’exprimait de manière si lumineuse dans l’homélie qu’il prononça pour prendre possession de sa cathèdre d’évêque de Rome, à St Jean du Latran, le 9 mai 2005 : « L’autorité d’enseigner, dans l’Eglise, comporte un engagement au service de l’obéissance à la foi. Le Pape n’est pas un souverain absolu, dont la pensée et la volonté font loi. Au contraire : le ministère du Pape est la garantie de l’obéissance envers le Christ et envers Sa Parole. Il ne doit pas proclamer ses propres idées, mais se soumettre constamment, ainsi que l’Eglise, à l’obéissance envers la Parole de Dieu, face à toutes les tentatives d’adaptation et d’appauvrissement, ainsi que face à tout opportunisme (…) Ainsi son pouvoir ne se trouve pas «au-dessus», mais il est au service de la Parole de Dieu, et c’est sur lui que repose la responsabilité de faire en sorte que cette Parole continue à rester présente dans sa grandeur et à retentir dans sa pureté, de façon à ce qu’elle ne soit pas détruite par les changements incessants des modes ».
Conclusion
Ne nous laissons donc pas intimider par l’insistance et la frénésie avec lesquelles les médias ont diffusé cette parole isolée du Pape François, dont le contexte a été si légèrement traité. On aimerait qu’ils diffusent avec la même insistance d’autres paroles du même Pontife romain qui heurtent de plein fouet la mentalité du monde, par exemple quand il condamne sans concession le drame de l’avortement et dont les occurrences sont si répétitives dans son enseignement.
On voit donc, pour conclure, que dans le traitement de cette information, les médias font preuve, au mieux, d’une ignorance sur les degrés d’autorité de la parole pontificale, au pire d’un acquiescement servile aux idéologies à la mode, sans doute sous la pression de lobbies extrêmement organisés et agressifs, qui prétendent imposer à l’Eglise un changement de sa doctrine constante.
L’hypermédiatisation d’une petite phrase, faisant caisse de résonnance, ne saurait en aucun cas donner un quelconque poids d’autorité à la parole du Pape.
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