En raison de l’actualité en Syrie, nous avons interrogé Benjamin Blanchard, directeur général de SOS Chrétiens d’Orient :
Après une révolution qui a vu les groupes jihadistes prendre Alep, puis Hama, puis Homs, et balayer l’armée arabe syrienne en quelques jours, après la prise de Damas et la fuite de Bachar el-Assad, quel est le sentiment qui domine aujourd’hui en Syrie ?
D’abord, il y a une très grande inquiétude. Le gouvernement de Bachar el-Assad est tombé en quelques jours. C’est une vraie révolution pour les Syriens, qui, pour la plupart n’ont connu que la famille Assad. La père d’abord, Hafez, puis le fils Bachar. Imaginez, cela fait 53 ans que la Syrie était gouverné par la famille Assad ! C’est donc un grand saut dans le vide !
Une inquiétude évidemment quand on voit qui est aujourd’hui au pouvoir. Il s’agit de jihadistes bien connus ! Ainsi, Al-Jolani, de son vrai nom Ahmed al-Sharaa, le nouvel homme fort de la Syrie, est la tête d’un groupe appelé Hayat Tahrir al-Cham (HTC). HTC, c’est le nouveau nom de l’ancienne branche syrienne d’al-Qaïda, connu sous le nom de Front al-Nostra, même si ils ont depuis rompu avec al-Qaïda. Bref, ce sont des islamistes jihadistes qui connaissent la Charia et qui veulent la faire appliquer. Notons, d’ailleurs, que Mohammed al-Jolani est toujours sur la liste noire des Américains. Sa tête est mise à prix !
Inquiétude aussi, que la guerre civile se poursuive, notamment dans le nord-est de la Syrie, où Kurdes et milices pro-turques s’affrontent, et que la Syrie continue d’être le « terrain de jeu », si j’ose dire, des puissances régionales : la Turquie au nord-ouest et Israël au sud-ouest.
Enfin, inquiétude quant à la situation économique. En Syrie, plus de 90% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Le pays est frappé par des sanctions internationales depuis 14 ans et cela a sapé – le terme est faible – toute l’économie. Lorsque j’étais en Syrie, au mois d’octobre, j’ai vraiment été frappé par l’extrême lassitude du peuple syrien… C’est sans doute pour cela que depuis quelques jours, chez les Syriens, et aussi les chrétiens, il existe une infime – j’insiste sur le infime – lueur d’espoir, malgré toutes les inquiétudes.
Comment cela ?
Oui, je vous le disais : le pays est usé. Et, il y a quelques semaines, les Syriens n’avaient plus d’espoir de changement. Parce que même si la guerre était terminée dans une grande partie du pays, l’activité ne redémarrait pas : tout était bloqué. Aujourd’hui, malgré tout, les Syriens ont donc une toute petite lueur d’espoir.
Les déclarations des nouvelles autorités se veulent rassurantes et dans les faits, au moment où je vous parle, cela se confirme, notamment à Alep. Pour le moment… Ainsi, les messes ont-elles lieux, les paroisses poursuivent leurs activités, les évêques sont toujours là, etc. A ce jour, la situation est même plus stable à Alep, entièrement contrôlée par le HTC depuis une douzaine de jours, qu’à Damas !
Notons que dans la province d’Idlib, au nord-ouest de la Syrie, où le HTC est au pouvoir depuis 2016, après des années de restrictions, de soumissions, voire même de persécutions, depuis quelques mois, les chrétiens avaient repris une vie « normale ». Au point que certaines familles chrétiennes étaient même rentrées ! Est-ce une simple opération de communication provisoire ? Il ne faut pas être naïf, ni crier avant d’avoir mal. C’est du moins, la position des Eglises de Syrie. Nous allons pouvoir voir, puisque Noël approche, si les chrétiens de Syrie pourront fêter dignement et surtout publiquement la nativité, comment s’était le cas sous l’ancien régime.
Après, nous l’avons vu en Afghanistan et avant en Irak, à Mossoul, ou en Syrie, à Raqqa du temps de l’organisation Etat islamique, ce n’est pas la première fois que des jihadistes ont des paroles tranquillisantes… La suite, on la connait.
Combien compte-t-on de chrétiens en Syrie et quelle est leur situation ?
Il est difficile de savoir combien il y a de chrétiens en Syrie. Avant la guerre, ils étaient 1,5 millions. Aujourd’hui, ils sont entre 400 000 et 700 000 peut-être. Avec les combats, beaucoup se sont exilés, d’autres ont quitté leur ville pour se réfugier dans ce qu’on appelle « la vallée des chrétiens », à l’ouest du pays. Ainsi, à Alep, on ne comptait plus – avant les derniers évènements – plus que 25 000 chrétiens contre 150 000 avant la guerre !
Leur situation est, on s’en doute, extrêmement difficile et précaire, comme d’ailleurs celle de l’ensemble des Syriens. Sans aide, sans la levée des sanctions, la situation ne pourra qu’empirer. En attendant, nous faisons de notre mieux pour continuer à les aider en Syrie. SOS Chrétiens d’Orient poursuit son travail en Syrie et espère bien pouvoir le faire aussi longtemps que nécessaire, en lien avec nos partenaires et avec le soutien de nos donateurs, sous réserve de l’autorisation des nouvelles autorités. (11.XII.2024)
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