Il est difficile de faire face aux violences qui envahissent la société. La mort de la jeune Louise, âgée de 11 ans, assassinée par un homme qui avait besoin de calmer ses nerfs mis à l’épreuve par un jeu vidéo sur le Net, nous effraie. Comment l’homme perd-il tout jugement sur ce qui est bon ou mauvais ? L’écrivain Clive Staples Lewis, plus connu sous le nom de C. S. Lewis, dans son livre L’abolition de l’homme dit que si l’homme perd sa conscience, alors l’homme est aboli. Et l’homme aboli peut agir sans distinction entre le bien et le mal. Voyons d’autres réalités comme l’inceste qui touche un enfant toutes les trois minutes en France, ou la vente de drogues fomentée par des réseaux mafieux et criminels. Que manque-t-il à l’homme pour que de tels méfaits adviennent ? Face à ces faits, certains ajoutent des lois sécuritaires, souhaitant mettre des policiers devant chaque école et des caméras à tous les carrefours. Est-ce la solution ? On peut en douter, car même la peine de mort n’empêche pas le banditisme. En Afrique du Sud, à Johannesburg, il y a dix fois plus de policiers pour mille habitants qu’en France, et cette ville demeure pourtant une des plus dangereuses au monde.
En réalité ne manque-t-il pas à l’homme contemporain l’accès à une source de vie qui fasse rayonner en lui un contentement et une joie tels que l’idée même d’agir mal disparaît ? L’éducation de la conscience devient une priorité et au sein de nos écoles catholiques, il est urgent d’y réfléchir. La conscience est cette instance intérieure, intime et personnelle qui éclaire nos choix et oriente les actes qui en découlent. Là, l’Esprit de Dieu parle à celui qui est éduqué pour l’écouter, non en suivant ses impulsions et ses émotions, mais en raisonnant avec attention à ce qui est bon. L’éducation de la conscience prend du temps, elle a besoin de recul face aux événements, elle ne se fie pas aux premières impressions que véhiculent les vidéos émotionnantes sur les réseaux. La Parole de Dieu, par exemple les livres de la Sagesse dans l’Ancien Testament, mieux encore les évangiles, offre un enseignement universel du bien agir. Mais qui l’enseigne à nos enfants ? Jésus insiste pour dire qu’aucune nourriture matérielle ne peut rendre l’homme impur. Mangeons donc mais avec modération et en rendant gloire à Dieu ! Par contre c’est ce qui sort de l’homme qui le rend impur et entraîne « inconduites, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure » (Mc 7,21-22) Tout ceci ruine les relations sociales et apporte bien des souffrances aux gens. Or, juste après avoir donné cet enseignement aux apôtres, on amène à Jésus un homme sourd. Jésus lui touche les oreilles « puis, les yeux levés au ciel, il soupira et lui dit : « Effata ! », c’est-à-dire : « Ouvre-toi ! » « Ses oreilles s’ouvrirent ; sa langue se délia, et il parlait correctement. » ajoute l’évangéliste Marc. Voilà la question : face à une humanité sourde à la parole de miséricorde de Dieu, qui l’amènera à Jésus, qui lui parlera de celui qui vient apporter la paix, la réconciliation, le pardon ? Notre Église bénéficie du don de Dieu, elle s’appuie sur la richesse des sacrements du salut, elle enseigne la Parole, et elle prend conscience qu’elle peut apporter à la société des hommes la lumière afin de sortir des graves ornières de la violence et de l’indifférence. Nous avons une responsabilité et devons faire le choix ensemble de nous mobiliser, en commençant par prier fidèlement afin de puiser en Dieu la Sagesse et de bâtir une monde meilleur, la civilisation de l’Amour comme nous y invitait saint Jean-Paul II.
Arrivé à ce point de mon propos, j’aimerais ajouter quelques mots sur la moralité des actes humains. Nous avons parlé de notre liberté qui caractérise l’être humain et le différencie du monde animal guidé par l’instinct. Notre liberté permet à l’homme d’agir dans le don de lui-même parfois au-delà du raisonnable car l’amour le pousse à dépasser ses limites. Le catéchisme de l’Église Catholique (N° 1749ss) dit que l’homme qui agit délibérément est « le père de ses actes ». Comprenons que « la moralité des actes humains dépend de l’objet choisi ; de la fin visée ou l’intention ; des circonstances de l’action. L’objet, l’intention et les circonstances forment les “sources”, ou éléments constitutifs, de la moralité des actes humains. »
L’objet est le bien que la personne choisit comme bon – en principe puisque malheureusement il peut être mauvais – selon sa conscience vers lequel son désir s’oriente. L’intention motive l’agir et qualifie la bonté de l’acte en fonction du but visé. Plusieurs intentions peuvent motiver cet agir comme plaire à Dieu, aider une personne ou encore soutenir un projet collectif. Mais quand elle est bonne, l’intention ne peut jamais justifier un acte mauvais. L’on dit parfois que « la fin justifie les moyens », ce qui est vrai si la fin est bonne mais faux si le but est mauvais. Saint Thomas d’Aquin affirme qu’« on ne peut justifier une action mauvaise faite avec une bonne intention ».
Enfin les circonstances extérieures d’un acte modulent la bonté ou la malice d’un acte humain et ont des conséquences sur la responsabilité de la personne qui agit. Mais elles ne peuvent pas transformer un acte mauvais en un acte bon. On doit ajouter qu’ il n’est pas permis de faire le mal pour qu’il en résulte un bien » puisque « l’acte moralement bon suppose à la fois la bonté de l’objet, de la fin et des circonstances ». Ceci appelle à nouveau une éducation des personnes orientée vers le bien, comme Jésus s’y emploie durant sa vie publique. Les disciples venaient vers lui en lui demandant « est-il permis ? », comme pour la question de la répudiation de l’épouse. Nous aimerions que Jésus eut donné plus de réponses face aux questions éthiques actuelles. C’est là que chacun d’entre nous, s’appuyant sur une prière dans l’Esprit, peut apprendre à discerner en écoutant la Magistère de l’Église qui enseigne comme Jésus lui en a confié la charge. J’apprécie chez nos frères juifs le questionnement incessant qu’ils entretiennent, en prenant le temps de la conversation, afin de situer chaque question dans la lumière de la Torah et du Talmud, en recherchant quelle question demeure en arrière d’une première question posée. N’allons pas trop vite vers la réponse apparemment évidente mais offrons du temps pour l’écoute de l’Esprit et de l’avis des frères pour avancer ensemble.
Les enseignants sont souvent des personnes admirables. Ne comptant pas leurs heures, attentifs à chaque élève, supportant un système éducatif en déroute, ayant peu de moyens et surtout des salaires bien bas en regard de leur qualification et de leur investissement, les enseignants ont une mission d’une importance incontestable. Instruire, éduquer, ouvrir au bon et au vrai, sont les missions exigeantes attendues d’eux. Revenons à l’auteur C.S. Lewis. Lewis nous invite à reconnaître qu’il existe un ordre moral objectif, qui précède nos préférences et nos opinions. L’éducation devrait toujours viser à former des intelligences et des cœurs capables de discerner et d’aimer le bien. Sans cette formation des intelligences et des cœurs, nous formons des êtres qui, sous prétexte d’émancipation, deviennent vulnérables aux idéologies et aux manipulations. Il s’agit donc d’apprendre aux jeunes non seulement à penser, mais aussi à discerner et en particulier à discerner le bien et le mal. Cela est d’autant plus urgent que les enfants et les adolescents reçoivent en vrac et en masse des données sur les réseaux où ils passent des heures à scroller des vidéos sans être éduqués à un véritable esprit critique, et que par les IA génératives les contenus inventés se multiplient et se confondent avec le réel. Lewis écrit « nous faisons des hommes sans cœurs et nous attendons d’eux vertu et initiative ». Il appelle une éducation du sens moral dont les fondements sont universels et résumés dans la loi naturelle, elle-même reconnue par toutes les grandes traditions philosophiques et religieuses.
Parmi les adultes catholiques, nous avons besoin d’un surcroît d’engagement dans l’éducation des enfants et des jeunes. Nous ne devons pas laisser ceux-ci grandir au milieu d’une jachère incontrôlée et infertile. J’en appelle à vos talents pour que des enseignants et des éducateurs catholiques s’engagent pour ce beau métier de l’éducation. Il en va de l’avenir de chaque personne et de la société elle-même. Je prie pour tous ceux et celles qui ont déjà embrassé ces métiers, afin que leur zèle et leur courage ne diminuent pas devant la tâche immense qui est devant eux. Vous êtes les hérauts de la Parole de vie. Merci.
Notre-Père
+ Philippe Christory, Bispo de Chartres
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