Homélie du Très Révérend Père Dom Jean PATEAU Abbé de Notre-Dame de Fontgombault
Concede nobis… cælestibus desideriis inflammari. Accordez-nous… d’être enflammés de célestes désirs. (Oraison d’ouverture de la Vigile pascale)
Chers Frères et Sœurs, Mes très chers Fils,
De façon inaccoutumée et abrupte, alors que le célébrant en chape violette porte encore les vêtements aux couleurs de la pénitence, la grande et sainte Vigile pascale s’ouvre par une oraison prononcée sur le feu nouveau :
Vivre en vérité le mystère pascal, c’est vivre un « passage » ; le passage de la mort à une vie en cohérence avec la foi que nous professons ; le passage d’une vie de foi toujours trop superficielle à une vie plus profonde de communion avec le Seigneur.
Mais pour vivre en vérité, il faut désirer. Celui qui ne désire pas, au mieux campe sur place, au pire, il recule. L’Église est donc fort lucide quand elle nous fait implorer de Dieu un cœur brûlant de désir. Déjà saint Benoît, au début du carême, avait invité ses frères « à attendre la sainte Pâque avec l’allégresse
d’un désir tout spirituel. » (Règle de saint Benoît, c.49, De l’observance du Carême).
Il serait d’ailleurs bien pusillanime de n’espérer ce feu intérieur que durant les fêtes pascales. S’il est un lieu où il faut voir grand et ne pas ménager sa peine, s’il est un défi qu’il ne faut pas manquer, c’est bien celui de la rencontre face à face avec le Seigneur au jour de notre ultime passage, et qui sera pour tous, comme nous l’espérons, l’aube de la vraie vie, la vie qui n’aura pas de fin, la vie éternelle. Cette vie éternelle, saint Benoît recommande aussi à ses moines de la désirer de toute l’ardeur de leur âme (Cf. ibid., c.4, 46e instrument des bonnes œuvres).
Par la célébration du mystère pascal, nous communions à la mort et la résurrection du Christ. Le Christ, obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la Croix, répand sur tout homme de bonne volonté l’eau qui lave et qui purifie, comme saint Paul l’enseigne aux Romains :
Durant le temps de la Passion, nous avons cheminé aux accents du Vexilla Regis :
L’étendard du Roi vainqueur s’avance encore. Qu’adviendrait- il s’il n’était pas suivi ? La Croix se dresse au sommet du Calvaire, le Christ Ressuscité s’élève triomphant du tombeau… Qui se prosternera devant lui et devant sa croix ?
Pour beaucoup d’hommes et de femmes, Dieu est devenu l’étranger. Seuls quelques souvenirs d’un passé lointain occupent les recoins d’un cœur qui demeure assoiffé. Le pressentiment de le rencontrer un jour face à face ne les effleure pourtant plus. Dieu est absent de leur présent, et ce présent qui reçoit sa noblesse de sa présence est devenu profondément désespérant. Sans lui, la vie n’a plus de sens.
L’Église en cette sainte nuit nous rappelle à l’urgence de préparer notre propre rencontre. L’histoire de l’humanité, l’histoire aussi de chacune de nos vies, sont appelées à rencontrer le
Christ vainqueur de la mort et du tombeau. Nous le chanterons demain : « La mort et la vie s’affrontèrent en un duel prodigieux.
Le Maître de la vie mourut : vivant, il règne. » (Séquence de Pâques : Victimae paschali).
Le Christ est vivant. Il règne. Telle est la clameur de victoire qui retentit. Elle ne se taira plus désormais. Les temps les plus sombres de l’histoire de l’humanité, de l’histoire aussi de nos vies, vibrent de son écho. Le présent du Dieu vainqueur vient à notre rencontre. Il est vivant. Il règne.
Au cœur du chaos primordial, la parole de Dieu a été prononcée : « Que la lumière soit. Et la lumière fut » (Gn 1,3). A nouveau, le jour de notre baptême, Dieu a prononcé sur notre vie une parole. Enfants d’une nature rebelle, nous portions le nom de fils de colère. Dieu nous a offert la réconciliation.
Aujourd’hui encore, Dieu veut faire briller sa lumière, lui donner une intensité plus vive et nous renouveler dans la foi. Ce que Dieu a créé sans nous, il veut le recréer avec nous. Si la parole de nos parents auprès des fonts baptismaux a demandé pour nous la grâce de la foi, il nous revient de demeurer fidèle à la parole de nos aïeux. Aujourd’hui en renouvelant les promesses de notre baptême, nous nous sommes placés derrière l’étendard du Christ pour rajeunir en chacun de nos cœurs un dialogue d’amour.
La parole de Dieu ne s’est pas épuisée. Dieu a encore beaucoup à nous dire, beaucoup à nous apprendre, pourvu que nous lui laissions la parole. L’élan si petit, si ténu, d’un être si faible, si pauvre, un murmure né au plus secret du cœur humain déchaînera des flots d’amour divin qui bousculeront, renverseront, purifieront. La sécheresse des cœurs rabougris s’évanouira au torrent du mystère.
Aujourd’hui s’avance le Roi de gloire, le Vainqueur du tombeau. Il s’avance vers son Père. Il s’avance vers les hommes, posant son regard sur chacune de nos vies. Auprès du tombeau de Lazare, le Seigneur s’est écrié : « Lazare, viens dehors. » En cette nuit, le Christ nous invite à quitter nos propres tombeaux ; ceux que nous nous sommes construits et où nous avons l’illusion d’être bien, ceux qui nous oppriment et dont nous voudrions être débarrassés. Quels qu’ils soient, ils sont notre prison. Mourons à nos tombeaux pour ressusciter au Christ.
Aujourd’hui s’avance le Roi de Gloire vers sa Mère. Cette Mère qui, au soir du cruel vendredi, était toute douloureuse ; cette Mère à qui l’espérance n’a jamais manqué ; cette Mère qui se réjouit et qui prie pour nous. Qu’elle nous obtienne des cœurs enflammés de célestes désirs.
Regina cæli, laetare. Amen, Alléluia.
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