Chers amis, nous sommes entrés en carême mercredi des cendres. En êtes-vous heureux ?
En effet, pour certains, le carême suscite une réaction de recul avec le sentiment d’un effort insurmontable. Si encore, il nous était dit de ne pas faire telles choses avec une liste d’items, on verrait clair. Mais le carême ne consiste pas en des interdits alimentaires ou en des obligations cultuelles.
Voyons un peu plus clair sur cette période liturgique. Le carême est un chemin de croix qui commence par la montée de Jésus à Jérusalem, qui y subit sa passion et sa mort en croix, pour ressusciter le troisième jour. Durant ces jours, nous allons accompagner le Christ sur ce chemin. Comment ? Nous aurons quarante jours devant nous pour chercher Jésus au-dedans de nous, le prier, le consoler quand tant l’abandonnent. C’est pourquoi le carême n’est pas d’abord affaire d’actes extérieurs. Il est dit par Jésus : « quand tu pries, quand tu jeûnes, retire-toi dans ta chambre », ce qui signifie que le lieu où Jésus t’attend, c’est au-dedans de ton cœur où il établit sa propre demeure. Nous ne chercherons pas à nous montrer à l’extérieur, nous ne prendrons pas une mine grave devant les autres, nous garderons notre joie par amour des gens qui nous entourent, nous nous montrerons avenants pour écouter et servir.
Maintenant et sans tarder, notre mission de conversion commence par le fait de prendre du temps quotidiennement pour entrer en soi et retrouver Jésus qui parle à notre cœur. Ces moments de silence créent l’espace que l’Esprit utilise afin que remontent à notre conscience les paroles des Saintes Écritures reçues dans le passé et qui vont nous guider pas à pas. Entretenons des sentiments de bienveillance envers le Seigneur, parlons-lui cœur à cœur comme à un ami très cher, intercédons pour ceux et celles qui souffrent et qui vivent à proximité de nous, supplions pour la paix en ce monde. Et si nous constatons notre péché, pleurons sur celui-ci en demandant la miséricorde de Dieu afin d’être relevé comme disciple pardonné. Entendons la voix de Jésus qui nous demande, comme à saint Pierre au bord du lac de Tibériade, « m’aimes-tu ? » Nous avons l’espérance que nous ne serons pas abandonnés face aux drames de la vie si nous résistons au mal en étant artisans de paix. Jésus n’a-t-il pas dit : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé » (Jn 14,27) ? Il nous donne sa paix avec la mission de bâtir la paix dans le monde; en réalité il se donne lui-même en disant « je vous donne la paix » ; à chaque eucharistie nous communions pour manger le prince de la paix qui nous façonne comme artisan de paix.
L’apôtre Paul a tellement conscience d’avoir lutté dans sa jeunesse contre Jésus qu’il se tourne radicalement vers lui quand il se convertit. Il comprend pleinement ses torts et il apprend à vivre renouvelé sous la conduite du Saint Esprit de Dieu. Il écrit : « puisque l’Esprit nous fait vivre, laissons-nous conduire par l’Esprit » (Gl5,25). Pour ce carême, je vous propose de méditer un simple verset de saint Paul, qui constitue une véritable feuille de route pour parcourir ce chemin de manière évangélique : « joyeux dans l’espérance, patients dans l’épreuve, persévérants dans la prière » (Rm 12,12). Ainsi, nous restons en contact avec Jésus dans notre intimité, le matin en nous levant, puis au cours de nos activités, enfin le soir en rendant grâce pour les rencontres et les réalisations qui servent le bien de la société et apportent le bonheur aux autres. Comprenons qu’être chrétien ne consiste pas d’abord à bien agir selon une morale droite, même si cela est positif. Car « l’essence de la vie chrétienne consiste à demeurer devant Dieu avec l’intellect uni au cœur, dans le Christ Jésus, par la grâce de l’Esprit Saint » dit un mystique orthodoxe, Théophane le Reclus. Nous pensons à Dieu, en méditant avec notre intelligence la vie de Jésus, en reprenant ses paroles encourageantes et pleines d’amour, tout en cultivant des sentiments de gratitude et de joie spirituelle. Faisant ainsi au long du jour, nous demeurons conscients de la présence de Dieu qui accompagne nos pas au cours de nos travaux. Face aux contrariétés qui surgissent parfois, nous sommes gardés intérieurement des réactions spontanées voire vives et nous demeurons en paix. Paul, le disciple de Jésus, a appris à ne plus compter sur sa force et sa réputation mais sur sa faiblesse. Il a appris à se glorifier de sa faiblesse pour mettre pleinement sa confiance dans la force du Christ ressuscité, jusqu’à verser son sang pour lui et devenir un des plus grands martyrs au sein de notre Église catholique. Est martyr celui ou celle qui choisit librement d’aller jusqu’au terme ultime du témoignage en résistant à toutes les violences par la douceur et la paix, en donnant à voir la force de l’Évangile qui appelle à aimer même son bourreau. En ce carême, il est peu probable qu’en France, nous ayons à rendre compte de notre foi par le don total de notre vie, mais il y a ce témoignage persévérant de l’amour offert au quotidien à ceux que nous côtoyons quelle que soit leur attitude. Nous n’oublions cependant pas les trois victimes de la basilique Notre-Dame de Nice assassinées le 29 octobre 2020 en tant que chrétiens donc au nom de leur foi en Christ, le jugement de leur agresseur ayant été rendu ces jours-ci.
Pour vous encourager à vivre ce carême et le vivre avec joie en vue de la conversion de notre société française, égarée loin de Dieu, je m’appuie à nouveau sur la parole de Dieu et en particulier sur un extrait puissant de l’épître aux Hébreux. L’auteur encourage son lecteur à la persévérance dans l’attachement au bien. Écoutons ses mots qui puisent à la sagesse de Dieu pour soutenir le combat de la sainteté. Car nous menons bien un combat, contre nos tentations, contre l’esprit du monde marqué par la violence endémique, l’impureté promue, l’infidélité banalisée, la richesse idolâtrée, la vérité transgressée, l’avortement légalisé. Nous chrétiens, nous avons reçu un appel bien grand pour tenir dans cette adversité en nous appuyant sur le Christ et la grâce de son Esprit, en vivant ensemble un chemin de communion. Que dit ce passage de l’épître aux hébreux ?
« Frères, vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang dans votre lutte contre le péché, et vous avez oublié cette parole de réconfort, qui vous est adressée comme à des fils : Mon fils, ne néglige pas les leçons du Seigneur, ne te décourage pas quand il te fait des reproches. Quand le Seigneur aime quelqu’un, il lui donne de bonnes leçons ; il corrige tous ceux qu’il accueille comme ses fils. Ce que vous endurez est une leçon. Dieu se comporte envers vous comme envers des fils ; et quel est le fils auquel son père ne donne pas des leçons ? Quand on vient de recevoir une leçon, on n’éprouve pas de la joie mais plutôt de la tristesse. Mais plus tard, quand on s’est repris grâce à la leçon, celle-ci produit un fruit de paix et de justice. C’est pourquoi, redressez les mains inertes et les genoux qui fléchissent, et rendez droits pour vos pieds les sentiers tortueux. Ainsi, celui qui boite ne se fera pas d’entorse ; bien plus, il sera guéri. Recherchez activement la paix avec tous, et la sainteté sans laquelle personne ne verra le Seigneur. Soyez vigilants : que personne ne se dérobe à la grâce de Dieu, qu’il ne pousse chez vous aucune plante aux fruits amers, cela causerait du trouble, et beaucoup en seraient infectés. » (He 12, 4-7.11-15)
Cela est-il possible, doit-on se demander ? En réalité, cette voie de sainteté est ouverte dans la mesure où l’homme se fie à la force de l’Esprit c’est-à-dire à l’œuvre de la grâce divine. Nous ne pouvons pas réaliser cela par nos propres forces. Il faut même se garder de vouloir acquérir par soi-même notre pureté et notre sainteté comme si elles pouvaient advenir par nos efforts individuels. Regardons les plantes du jardin, c’est Dieu qui leur donne la croissance. Pareillement, c’est sa grâce qui favorise en nous vie et croissance. Notre cœur est comparé par Jésus à une terre où peuvent pousser ces plantes qui porteront des fleurs ou des fruits si la terre est libre des cailloux du péché et des ronces des soucis, si l’eau de la grâce l’arrose à la juste mesure de ses besoins. Chaque jour, le bon jardinier arrose ses plantes avec mesure pour ne pas les dessécher ni les noyer. Notre vie spirituelle recevra la juste mesure par notre prière fidèle et notre humble charité. Jour après jour, grandira l’œuvre de Dieu jusqu’à porter de beaux fruits. Pour vivre ainsi, il est utile de réfléchir à nos rituels qui structurent une vie spirituelle régulière, car il serait vain de faire un gros effort pour ensuite oublier le Seigneur. À chaque jour suffit sa peine, à chaque jour le cœur à cœur avec le Christ.
Je vous souhaite un heureux carême, un chemin de foi parcouru en communauté fraternelle. Je vous laisse quelques mots d’un catéchumène pour nous réjouir : « De différentes manières et par des multiples signes aussi clairs que précis, le Seigneur m’a secoué, percuté au plus profond de mon être, de mon cœur et de mon âme. À travers des bénédictions et des grâces, des situations improbables et insolubles qu’il a dénouées par miracle, oui, par miracle, j’ose le dire en ces termes ! ».
Notre-Père
+ Phillipe Christory, Bispo de Chartres